La stabilité
et
l'équilibre du voilier

(Extraits du manuel : "LA VOILE")  lien vers le site  : " LA VOILE"

Dans cette chronique, nous aborderons les notions de stabilité et d'équilibre du voilier.

STABILITÉ DU VOILIER Ici, le terme stabilité est pris dans deux sens.
1 - La qualité d'un bateau à s'opposer à l'inclinaison sous l'effet de forces extérieures.
2 - L'état d'un système en équilibre lorsque l'ensemble des forces et des couples auxquels il est soumis est nul (stable).

STABILITÉ DE POIDS
Ici, un cylindre lesté, développe une stabilité de poids due au seul déplacement de son centre de gravité.

M est le centre de rotation du système, CG est le centre de gravité c'est-à-dire le point ou semble être ramassé toute la masse (pesanteur P).

CC est le centre de carène c'est à dire le point ou semble être réuni toutes les forces de sustentation S (flottabilité).

STABILITÉ DE FORME
Un bloc de bois posé sur l'eau développe une stabilité de forme due à son centre de carène qui se déplace sous l'action d'une force F.

ÉQUILIBRE DU VOILIER

À L'ARRÊT
Un bateau posé sur l'eau, à l'arrêt, est soumis à deux forces, celle de la pesanteur P, appliquée au centre de gravité CG, à laquelle s'oppose la force de sustentation hydrostatique S appliquée au centre de carène CC.

Pour que le bateau soit en équilibre, il faut que les deux forces soient de même valeur (en équilibre).

À ce moment, le CG et le CC sont sur un même axe vertical.

Le bateau se déplacera dès qu'une force extérieure F lui sera appliquée, mais celle-ci bouleversera ce bel équilibre.


EN MOUVEMENT
Lorsque le vent propulse le voilier, un système de forces est en fonction. La force de propulsion D des voiles est contrebalancée par la résistance à l'avancement R du bateau. La poussée latérale L des voiles est contrebalancée par la résistance de la quille LR (dérive). La combinaison de ces forces produit ce qu'on appelle un "couple de virage" qui à son tour est contrebalancé par le gouvernail. L'équilibre optimal est atteint lorsque le couple de virage est au minimum et que l'angle de barre est presque nul (2 °C au vent est très bien).
Nous savons maintenant que les forces aérodynamiques agissent à angle droit de la surface de la voile, et qu'elles n'ont pas la même valeur partout. Ces forces se conjuguent et agissent en un seul point sur la voile, c'est le centre d'effort CE. De même, les forces hydrodynamiques peuvent être représentées par un seul point, le centre de résistance latérale CRL.

 

La grand-voile a son CE et le foc a son CE. Les deux se conjuguent pour donner le CGE du plan de voilure (grand-voile et foc). C'est à partir de ce point que la force de propulsion D et la force latérale L agissent. La force D va faire accélérer le bateau jusqu'à ce que la résistance à l'avancement du bateau égale cette force et que la vitesse devienne alors constante.

La force LR est la résistance à la dérive, elle agit à partir du CRL. Dans des conditions stables, L et LR sont égaux. Si le CGE est situé en avant du CGRL, le bateau aura tendance à s'éloigner du vent, on dit alors que le bateau est "mou". Pour tenir un cap constant, la barre devra être tenue légèrement sous le vent. Si, au contraire le CGE est à l'arrière du CGRL, le bateau aura tendance à lofer (remonter le vent), on dira alors que le bateau est "ardent". Cette fois, pour garder un cap constant, il faudra tenir la barre légèrement au vent.

En principe, un voilier parfaitement balancé maintiendra une route bien droite, sans l'aide du gouvernail. Cet équilibre parfait est rare. En réalité, la majorité des voiliers sont dessinés et réglés pour être légèrement ardents. Du point de vue sécurité, il est avantageux que le bateau soit ardent: si pour une raison ou une autre, la barre est laissée à elle même, ou qu'une bourrasque arrive, automatiquement, le bateau lofera et s'arrêtera. Dans les mêmes circonstances, un bateau mou abattra, empannera, et peut-être chavirera. Tous les bateaux devraient être réglés pour être légèrement ardents. À l'allure du près, un angle de barre de quelques degrés (2 ou 3) au vent est souhaitable. Plus que 2 ou 3 degrés, le gouvernail agit comme un frein et ralenti le bateau.

 

LOCALISATION DU CENTRE GÉOMÉTRIQUE D'EFFORT (CGE) ET DU CENTRE GÉOMÉTRIQUE DE RÉSISTANCE LATÉRALE (CGRL)
La position du CGE (voiles) et du CGRL (coque) peut-être calculée avec précision.

Les spécifications publiées par les architectes et les constructeurs montrent habituellement la position du CGE et du CGRL. Notez que lorsque le bateau est en marche, des forces dynamiques interviennent et les deux centres se déplacent vers l'avant du bateau. La chose importante à retenir, est qu'on peut diminuer ou augmenter "l'ardeur" d'un voilier en modifiant les positions du CGE et du CGRL.

RÉDUIRE L'ARDEUR D'UN VOILIER
• A quai, on peut avancer le mât ou diminuer sa quête.
• En route, on réduit la surface de la grand-voile, ou on établi un plus grand foc.

Ces changements vont faire avancer le CGE. Choquer la grand-voile produira le même effet. Sur les bateaux à déplacement léger, déplacer l'équipage vers l'arrière réduira également l'ardeur du bateau.
Les corrections à apporter pour corriger un bateau "mou", sont le contraire de celles nécessaires pour un bateau "ardent."

DÉFORMATION DE LA CARÈNE À LA GÎTE

Lorsque l'on déplace dans l'eau un flotteur asymétrique, sa trajectoire n'est pas rectiligne mais suit une courbe dans la même direction que sa courbure. Qu'advient-il de la carène d'un voilier à la gîte ?

La courbure longitudinale des fonds est généralement moins accentuée que celles des cotés (plus le bateau sera large et son déplacement réduit, plus cette réalité sera évidente).

La ligne pointillée représente la carène bien à plat sur la surface de l'eau, sans aucune gîte. La ligne pleine montre la déformation de l'empreinte que laisse la carène sur la surface de l'eau lorsque le bateau gîte.

À la gîte, la déformation des lignes de flottaison de la carène du voilier présente une courbure accentuée sous le vent et réduite au vent. Il en résulte un couple de virage qui se manifeste par la tendance du voilier à lofer.

Si on ne veut pas être obligé de compenser cet effet par l'action du gouvernail et ainsi freiner le bateau, il ne reste comme solution que de créer un couple de virage de sens opposé en décalant vers l'avant le centre de voilure.

LE GOUVERNAIL
Le gouvernail remplit deux fonctions: l'une passive qui consiste à maintenir sur sa route le voilier en dépit des sollicitations extérieures, l'autre active consistant à modifier volontairement la direction du bateau. La limite entre ces deux fonctions est difficile à déterminer, le gouvernail étant dans certains cas capable de s'opposer seul aux sollicitations extérieures sans intervention active.
Le rendement du gouvernail dépend de quatre caractéristiques, l'allongement, la forme de son contour, et la forme de sa section.

On rencontre quatre types principaux de gouvernails:
• Safran derrière la quille et attaché à celle-ci.
• Safran indépendant, suspendu sous la carène et avec une compensation plus ou moins importante.
• Safran indépendant, fixé à l'extérieur du tableau avec ou sans compensation.
• Safran indépendant de la quille mais placé derrière un aileron (skeg).

EN  PRATIQUE 
Nous retiendrons donc que les trois facteurs dont dépend l'équilibre et la bonne marche du bateau sont la stabilité, la dérive, et la force de propulsion générée par le plan de voilure.

L'emprise du skipper sur la stabilité et la dérive est relativement évidente puisqu'elle consiste essentiellement à bien repartir les poids et à maintenir la carène propre. Elle devient plus complexe dans le cas du plan de voilure car il ne suffit pas de disposer de bonnes voiles. Il doit veiller à éviter tout ce qui peut augmenter la traînée. Dans ce sens, le confort ou certaines protections viennent en conflit avec la performance.

Des cagnards autour du cockpit, une capote de descente (dodger, bimini), un aérien de radar, un régulateur d'allure, une annexe attachée sur le roof, sont des éléments certains de confort mais leur présence se paiera obligatoirement par un accroissement du fardage et une perte de vitesse. La décision d'installer à bord tout nouveau matériel qui n'a pas été prévu dès le stade de la conception du voilier, devra être prise après mûre réflexion.

Abandonnons un instant la théorie pour aborder un aspect plus philosophique de la conception et de l'utilisation d'un voilier. Dès qu'on aborde le sujet de la performance, la majorité des skippers diront: " Moi, je ne fais pas de compétition, la performance ne m'intéresse pas... " C'est là une erreur qui peut avoir des conséquences graves, car un voilier qui ne peut atteindre un maximum de performances est un voilier dangereux.

N'importe quel plaisancier peut se trouver un jour devant une situation demandant de son bateau une vitesse aussi élevée que possible, quelle que soit la direction du vent et l'état de la mer. L'accident d'un équipier, l'évolution brutale et imprévue d'une situation météorologique, une voie d'eau, une batterie à plat ou pire une panne de moteur, peuvent rendre dramatique une situation maîtrisable et seules alors, les performances du voilier permettront d'éviter le drame.

Les trois facteurs de performance que nous avons étudiés dépendent au départ de la conception architecturale du voilier, mais il revient uniquement au skipper qu'ils soient maintenus à leur valeur optimale. La chasse aux poids inutiles et la meilleure localisation des objets doivent être un souci permanent et l'objet d'une continuelle remise en cause...

Pierre Boucher N (Extraits du manuel  :"LA VOILE" )   lien vers le site  : " LA VOILE" 

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Un peu d'architecture navale pour :
l'assiette
l'équilibre
et la stabilité du voilier


           (D'après l'exposé de Guy Ribadeau Dumas, architecte naval)  

L'équilibre fait partie des qualités essentielles en matière de performances de sécurité et d'agrément. Un des premiers dériveurs intégraux exposés au salon de Paris allait se comporter comme un derviche tourneur dans le Mistral. Toute tentative pour descendre dans le vent était vaine.

L'ASSIETTE

Le centre de gravité est généralement en arrière du centre de carène et le lest intervient comme le contrepoids d'une balance romaine. On dit qu'un bateau est dans ses lignes lorsque la flottaison correspond à celle prévue pour une charge donnée. Il faut éviter d'équilibrer un bateau avec la charge (réservoirs, soute), surtout en latéral.

Si vous voulez ajuster l'assiette de votre bateau, voici deux approximations assez précises : Pour l'enfoncement en Kg par cm, vous calculez à partir des dimensions en mètre : (longueur à la flottaison) x (largeur à la flottaison) x 6,7 . Pour une flottaison de 10 m par 3.20 vous obtenez 214 Kg par cm.

Pour changer l'assiette de 1 cm à chaque extrémité, il faut multiplier le carré de la longueur à la flottaison par la largeur à la flottaison (en m) puis par 0,75. On obtient le moment nécessaire en mKg. (LFl ² x BFl x 0,75). Pour une flottaison de 10 m par 3,20 m on obtient un moment de 240 m Kg . Il faudra déplacer 240 Kg de 1 m. Pour changer l'assiette de 5 cm on multiplie par 5, soit 1200 mKg.

LA CHARGE

C'est l'élément complémentaire du précédent. En dehors des salissures qui pourraient envahir une ligne de flottaison faute d'antifouling, la charge a une influence considérable sur les performances. Il arrive de constater sur un voilier de croisière des charges approchant 50 % du poids du bateau nu à la sortie de chantier. Il faut savoir qu'un bateau sera souvent chargé à 25 % du déplacement lège et enfoncé de 8 à 15 cm. Par déplacement lège, il faut entendre le poids du bateau prêt à naviguer avec son matériel de sécurité réglementaire, mais sans aucun approvisionnement, équipage ou accessoires (livres, batterie de cuisine, annexe…). En d'autres termes, il est fondamental de concevoir un bateau pour son poids réel. La charge a une grande importance pour l'assiette. Un petit bateau lège pourra paraître sur le nez alors qu'avec équipage, hors bord, coffres remplis il sera dans ses lignes. Des effets dynamiques jouent également un rôle considérable.

LES DONNÉES DYNAMIQUES

Le maxi CHARLES JOURDAN se cabrait en partant au surf entre 20 et trente nœuds. Pour accélérer, il fallait avancer les poids. D'autres au contraire ont tendance à enfourner. Lorsqu'un bateau est en route, il est soumis à un ensemble de forces que l'on pourrait décomposer à l'infini. Tout ce que vous lui demandez, c'est de tenir facilement sa route avec une bonne vitesse moyenne. Si un certain nombre d'éléments sont bien connus et largement décrits dans tous les ouvrages  (l'effet antidérive, la propulsion, la vitesse limite …) d'autres sont rarement évoqués. La voilure, autant que la quille, une dérive ou le safran portent et ne font pas seulement ce qu'on leur demande. La voilure pousse vers l'avant et cette poussée étant appliquée en hauteur, un couple tend à mettre le bateau sur le nez. Sur un Micro, cela correspond à une différence d'assiette de l'ordre de 5 cm dans la brise. La quille produit une portance antidérive, mais son point d'application étant placé très bas, elle augmente la gîte et provoque un moment de roulis.

Le safran vous fait gîter d'un bord ou de l'autre suivant le sens dans lequel vous l'utilisez. Si l'axe n'est pas vertical, un coup de barre aura pour effet de soulever l'arrière ou de l'enfoncer. La coque elle-même subit des variations causées par la vague qu'elle forme, par sa déformation à la gîte, par sa portance.

Une coque gîtée devient asymétrique et ne va pas aller droit si l'on n'apporte pas de corrections par la voilure et les appendices. Il n'y a pas seulement la portance latérale ou la résistance à l'avancement. Si l'on calcule le volume d'eau déplacé par une coque en mouvement, l'on s'aperçoit qu'il est supérieur à son poids. Ce ne sont pas les principes d'Archimède ou d'Albert Einstein, mais plus simplement le fait qu'une coque engendre une portance dirigée vers le bas comme un parapluie rigoureusement à l'horizontale va tirer vers le haut. Personne ne calcule tout cela. Pourtant toutes ces données font que les évaluations effectuées sur une coque en statique sont des points de repère et ne correspondent que de très loin à ce qu'il se passera en navigation. Ce sont des éléments de comparaison. Le reste, tout ce qu'il y a entre les calculs élémentaires et la réalité, constitue l'art de l'architecte naval. C'est très complexe. Aucun programme d'ordinateur n'est à l'heure actuelle capable de remplacer l'expérience acquise à la mer dans toutes les conditions et sur des dizaines de types de bateaux. Le roulis rythmique sous spi met toutes ces données en jeu. Dans la brise il faut être assez habile pour garder le bateau sur sa route sans jamais donner de la barre dans le sens d'accentuer le mouvement. Le barreur devient funambule.

L'ÉQUILIBRE A LA BARRE

Le barreur débutant comprend vite qu'un bateau ne se dirige pas comme une voiture. Un bateau bien équilibré à la barre demande un minimum d'angle de barre. L'idéal consiste à obtenir au près (à l’équilibre) environ 2° de barre au vent (barre franche tirée vers le vent). Si vous avez une quille longue, cet angle améliore la portance. Si vous avez un gouvernail séparé, la portance du safran s'ajoute à celle de la quille sans augmentation de traînée. Ce léger appui facilite le travail du barreur. Si vous avez trop de barre au vent, vous freinez le bateau. Dans l'axe c'est encore bon, la dérive apporte une bonne portance. Si vous dépassez 5° sous le vent, le gouvernail vous fait dériver en portant à l'inverse de la quille, la vitesse et le cap diminuent alors qu'à relancer constamment le bateau vous avez des difficultés à tenir la route. La seconde difficulté consiste à conserver cet équilibre quel que soient le vent et la gîte. Il faut alors bien doser la voilure et l'assiette. Pour régler l'équilibre, on peut jouer sur la quête et quelquefois la position du mât. En le reculant le bateau lofe. En l'avançant, il abat. L'effet n'est cependant pas très sensible, il faut le conjuguer avec les réglages de voiles. La grand voile joue le rôle d'un gouvernail.

LA STABILITÉ DE ROUTE : le bateau étant bien équilibré, il faut donner le moins de barre possible. Chaque coup de barre est un coup de frein et les bateaux instables sont franchement désagréables. En compétition, cela peut retirer toutes chances de victoire à un bateau intrinsèquement rapide. En croisière, c'est invivable. Un bateau bien équilibré se barre à deux doigts, est capable de faire route barre amarrée du près au bon plein. Pendant longtemps il y a surtout eu des bateaux instables au portant, faute de s'en occuper sérieusement. En fait, on a travaillé la stabilité de route au portant avec les courses en solitaire et le développement des pilotes automatiques. Avant c'était du domaine des bateaux étroits à quille longue. Ils sont d'autant plus faciles à tenir avec un régulateur d'allure que la vitesse reste inexorablement faible et le vent apparent important.

En remontant la dérive d'un dériveur lesté, on améliorera la stabilité de route au portant. La présence du saumon allongé avec un centre de poussée haut placé facilite bien les choses. Sur un dériveur intégral, il faudra s'abstenir de relever complètement la dérive au risque de faire un zigzag d'un bord sur l'autre comme une voiture sur le verglas. Le dérapage est un frein autant qu'un élément d'instabilité. D'une façon générale, plus un bateau aura un petit gréement par rapport à l'inertie du plan de dérive, plus il sera stable. Autrement dit, plus il aura de surface de safran loin de la quille, plus celui (ou ceux)-ci seront efficaces. Un déplacement léger est dés lors très avantagé dans la mesure où il portera moins de voilure à longueur égale. Plus rapide au portant, il subira un vent apparent moins fort.

De toutes les dimensions d'un bateau, la longueur est le principal facteur de sécurité, de stabilité et de performances.

UNE CARÈNE ÉQUILIBRÉE

Mon Grand-père a eu une Corvette. Un architecte naval qui a vécu cela très jeune est immunisé pour la vie. Ce sympathique petit croiseur en contreplaqué dont les formes préfigurent les tendances Néo-Z a un terrible défaut d'équilibre à la gîte. C'était d'autant plus notable qu'il gîtait facilement. Le près dans la brise se passait barre au ventre, façon musclée. Certains ont mis un beaupré, sans succès. A la même époque un 6 m J.I. très étonnant dessiné par Louis BREGUET pour lui-même naviguait à Deauville. Il avait une étrave très fine et profonde, au point qu'il fallait des écarteurs de haubans au niveau du pont. Cette étrave était associée à un arrière large et plat. Il fallait un palan pour barrer. Ted HOOD, célèbre Voilier et architecte a ses heures a tenté la même chose sur NEFERTITI (12 m J.I.) pour écarter ses rails de génois ; il a fallu agrandir le safran. En bateau lourd le déhanchement ne pardonne pas. C'est le gros défaut des bateaux de course au large américains des années 50/60. Comme leurs voitures, ils avaient de gros moteurs mais ne tenaient pas la route. Dick CARTER a su résoudre le problème avec un énorme succès. Avec des déplacements légers, c'est plus facile car la déformation à la gîte remue beaucoup moins d'eau, eu égard à des moyens directionnels comparables. En étant sensibilisé au problème, on acquiert en naviguant sur de nombreux bateaux l'expérience nécessaire à établir des lois efficaces. Aucun ouvrage ou cours d'architecture navale n'en traite pour la bonne raison que peu de gens maîtrisent réellement ces questions. On pourrait, à force d'essais en bassin, en tunnel aérodynamique, puis par d'adroites simulations réussir à mettre en face différentes courbes de variation. Ce serait à peu près aussi vain que de décomposer la marche à pied. Une forme de coque est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît et quand vous marchez bien, beaucoup copient sans comprendre. Les bateaux triangulaires à la mode en mini et en open ont un très bon équilibre à la gîte dans la mesure où ils se déforment énormément. Cette déformation vient contrer les tendances à partir au lof. On ne part pas en crabe, c'est déjà fait (effet chasse-neige). Au portant cela marche d'autant mieux que le problème d'équilibre est résolu. Il y a de la puissance à porter la toile et la voilure n'est pas limitée. Au près la marche en crabe est accentuée par la dérive et la voilure pousse moins ; rien ne va plus face aux bateaux à équipage taillés pour toutes les allures.

 

CENTRES DE VOILURE ET DE DÉRIVE

Ces centres représentent des données complètement abstraites. Ce sont les centres de gravité géométriques des surfaces. Le centre de poussée se trouve beaucoup plus en avant. Grossièrement, une erreur corrige l'autre puisque ce sont deux plans porteurs exerçant des forces en opposition. Sur un avion à ailes rectangulaires sans flèche, le centre de gravité doit se situer entre 20 et 30 % du bord d'attaque alors qu'un centre de dérive se situerait à 50 %. Les centre de voilures et de dérive servent à équilibrer un bateau de façon purement empirique en mesurant la distance qui sépare les projections sur la flottaison par rapport à la longueur à la flottaison. Le centre de voilure est généralement 10 à 20 % de la longueur à la flottaison en avant du centre de dérive. Pour 10 m de flottaison, cela correspond à un écart d'un à deux mètres selon le déplacement et la largeur. Cet écart permet de remettre les forces en opposition malgré la gîte (la quille part au vent et le gréement sous le vent). Sur un multicoque de croisière tout reste à plat, on peut se passer de tout décalage. Sur un multicoque de sport avec la coque au vent et la dérive hors de l'eau, il faudra pour équilibrer que le centre de voilure soit en arrière du centre de dérive. La poussée s'exerçant au vent de la coque.

LES VOÛTES RASANTES

Un exemple d'erreur fondamentale est de croire que plus l'élancement arrière restera près de l'eau, plus la flottaison va s'allonger. Cette peur de manquer oublie un facteur essentiel. La vague arrière. Par définition elle monte et si la voûte est trop basse, elle soulève le bateau. Du coup, il manque du volume plus en avant et le bateau part sur le nez pour ralentir, voire enfourner ou partir au lof. A l'inverse les petits culs des ARPEGE laissaient les bateaux s'inscrire dans la vague. Sur RUCANOR, un bateau de 57' dessiné pour la Whitbread, j'ai monté une voûte à pente variable pouvant aller de 9° à 20° de la flottaison sur 2,50 m. Des ballons se gonflaient entre une partie fixe et une coquille mobile articulée en bas et des palans mettaient l'ensemble en pression. C'est, je crois, la seule expérience de forme de carène évolutive jamais tentée. Si les responsables de la jauge ont eu tôt fait de l'interdire, nous avons pu choisir l'angle et mesurer son incidence sur les performances. Au largue, le fait de passer d'un extrême à l'autre faisait varier l'assiette de 9 cm à l'étrave. En plus de régler l'écoulement, cela jouait le même rôle qu'un trim sur un bateau à moteur. En définitive nous l'avons relevée près du maximum et l'ensemble a tenu sur un tour du monde. Le gain en stabilité de route et en performances au portant était largement supérieur au gain obtenu en l'abaissant au près.

LES APPENDICES

La forme de la quille et du safran a une incidence sur de nombreux facteurs :

QUILLE LONGUE ET GOUVERNAIL SÉPARÉ

La quille longue, c'est la quille traditionnelle avec le gouvernail accolé. Le gouvernail séparé est apparu à la fin du 19° siècle dans le principe. Il aura fallu environ 70 ans pour qu'il s'impose vraiment. Sur les carènes classiques, la différence n'était pas évidente. Si un bateau est étroit, long et lourd, le lest important sera près du centre et le fait de n'avoir qu'un appendice réduit la résistance à l'avancement. Pour avoir souvent barré les derniers 12 m J.I. de la Coupe América avec quille longue (Constellation, Columbia et Américan Eagle), j’ai reconnu que non seulement ils étaient très rapides, mais incomparablement plus faciles à barrer que les premières unités à gouvernail séparé (France). Sur les bateaux de course au large, il y a eu quelques précurseurs (Fox, Van de Stadt), mais cela s'est généralisé par Olin Stephens et Éric Tabarly. Tout s'est passé entre 67 et 71. Les dernières quilles longues de bateaux de série apparaissaient en Angleterre quand l'Arpège fracassait le marché. Je viens de dessiner un 45' classique pour un ami d'Eric Tabarly. Éric voulait absolument que je mette une quille longue. Sur Pen Duick il trouvait en définitive que c'était beaucoup plus agréable à barrer. Les barreurs de Requins et Dragons comprendront. Il en a été franchement contrarié, mais je ne pouvais pas. Il était possible de faire un bateau un peu plus lourd et plus étroit mais on me demandait aussi une bonne stabilité de route sous pilote et la meilleure manœuvrabilité dans les ports. La stabilité de route avec une quille longue est inversement proportionnelle à la manœuvrabilité. Pesa un 10 m J.I. de 1911 que je viens de restaurer remporte cette année la Coupe des Deux Phares en temps réel et temps compensé. Avec 1 m de moins au pont, 3 m de moins à la flottaison et une quille longue, il a battu Pen Duick III de 5 h 30'. Pesa marche comme le premier Pen Duick, qui aurait ainsi battu sans coup férir Pen Duick II et Pen Duick III dans ces conditions (portant 5 à 20 nœuds). Voilà qui aurait relancé le débat.

 

LA RAIDEUR A LA TOILE

La stabilité latérale est un élément essentiel. La gîte est fonction du moment de redressement et de la voilure portée. Les bateaux qui portent toute la toile par force 6 sont plus souvent sous toilés que raides à la toile. La voilure mise à part, il faut de la largeur et un centre de gravité bas pour qu'un bateau soit puissant. Mais comme la largeur augmente considérablement la résistance à l'avancement, il faut de la toile sur les bateaux larges, ce qui les rend plus gîtards à performances égales que des bateaux plus étroits et lestés. Les ballasts à eau de mer peuvent aider, mais le volume occupé et le maniement constituent une sérieuse contrainte. La position du lest est moins fondamentale qu'on ne croit. Le moment de redressement n'est jamais que le produit du poids du bateau par la distance du centre de gravité au centre de carène en projection verticale. Descendre un lest de 50 cm ne le déplace en latéral que de 17 cm à 20° de gîte. Si ce lest constitue 25 % du déplacement en charge, le bras de levier de redressement (GZ) augmentera de 4 cm environ ; soit 10 % sur un 40' de croisière. Paradoxalement, un tirant d'eau très élevé n'apportera quelquefois aucune augmentation de raideur à la toile. C'est dû au moment de roulis abordé plus haut. La portance de la quille soulève le lest. A 10 nœuds au près avec 20° de gîte, il m'est arrivé de constater que la poussée sur les patins d'une dérive de 4 T s'inversait de temps en temps. C'est également la raison pour laquelle les quilles pendulaires ne s'imposent pas forcément. En portant le lest au vent, on y porte également la portance de la quille. Après la Route de l'Or, des journalistes ont déduit qu'Yves Parlier a gagné sans quille pendulaire parce que son bateau était plus léger. Au contraire, une fois ballasté, il était nettement plus lourd. Un bateau chargé est beaucoup plus raide à la toile qu'un bateau lège. Le domaine est très vaste et l'on ne peut l'aborder succinctement ou donner tous les secrets. C'est la base de l'architecture navale et l'élément par lequel on reconnaît les orfèvres en la matière. Les bateaux qui tombent bien dans leurs lignes à la mise à l'eau sont généralement les plus rapides et les plus fiables. C'est un métier, comme les beaux assemblages et les bonnes soudures.

d'après Guy Ribadeau Dumas, architecte naval

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